Aller au contenu

Page:Sacher-Masoch - A Kolomea - Contes juifs et petits russiens, 1879.djvu/207

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
197
LA FÊTE DES MOISSONNEURS.

qu’il tient entre ses jambes et dont il fait craquer l’extrémité sous la semelle de ses lourdes bottes. Sa main gauche embrasse convulsivement une cruche de slivowitz, qu’il couve d’un œil attendri.

Les hommes sérieux se sont assis et discutent, leur couteau à la main. La coupe d’eau-de-vie circule à la ronde.

Quant à la jeunesse, elle brûle d’impatience de commencer les divertissements d’usage. Elle goûte à peine aux mets, et s’organise pour la danse.

Les apprêts sont terminés. C’est le vieux Lesnowicz qui ouvre le bal avec Iéwa. Au bout d’un instant, il s’en sépare et tournoie tout seul, lourdement, comme un bourdon tombé dans un verre d’eau. Du milieu de la foule surgit tout à coup un jeune gars ; il rejette en arrière ses cheveux luisants de pommade, s’essuie la bouche du revers de sa manche, et invite la petite baronne pour la valse.

Bientôt ce n’est plus que piétinement général et murmures confus. Le chantre promène l’archet sur son violon avec une sorte de délire, et ne s’interrompt que pour engloutir une énorme bouchée de saucisse. Les cymbales pleurent, les violons geignent, tantôt comme des enfants abandonnés, tantôt comme des agonisants qui demandent grâce, d’une voix déchirante, lugubre.

À table, tout se passe gaiement. On trinque, on boit à la ronde, des mains tremblantes s’étreignent ou renversent la grande coupe qu’on fait circuler. Des compliments s’échangent ; pas de choses triviales, les injures sont remplacées par des accolades.

« Puisse ta digne femme conserver sa bonne santé durant de longues années. Oui, je lui souhaite des jours