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Page:Sacher-Masoch - A Kolomea - Contes juifs et petits russiens, 1879.djvu/209

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LA FÊTE DES MOISSONNEURS.

guère. Il adore Iéwa et ne pense qu’à elle. Du reste, vous allez les voir ensemble tout à l’heure. »

L’orchestre fit entendre les premiers accords de la kolomiska.

Danseurs et danseuses s’enlacèrent étroitement, formant un cercle. Au milieu du cercle se placèrent Iéwa et le garde-chasse.

La musique commence, faible, languissante. Dmitro. les bras croisés sur sa poitrine, demeure immobile et comme absorbé dans une douloureuse rêverie. Il accompagne la musique d’un chant triste et doux. Par instants seulement un son plus fort, un soupir, un gémissement, une plainte déchirante s’échappent de son gosier, interrompant la monotonie de cette mélodie étrange.

Vis-à-vis, à l’autre extrémité du cercle, se dresse Iéwa. Elle le regarde fixement, le front haut, avec un éclair dans l’œil.

Les notes ardentes des instruments se précipitent et jaillissent comme des perles. Dmitro frémit, il s’agite, il secoue sa chevelure, il pousse un cri rauque, un cri de chasse, le cri de l’aigle qui se jette sur sa proie. Il lève les bras et commence une danse curieuse. Il tourne tantôt comme un enfant qui joue et piétine, tantôt comme un jongleur qui dompte un serpent, tantôt enfin comme une bête fauve qui poursuit sa femelle en bondissant.

Son œil ne quitte plus celui de Iéwa. Chacun de ses pas, chacun de ses mouvements le rapprochent d’elle. Elle le regarde froidement et cherche à l’éviter. Les cercles magiques dont il l’entoure se multiplient. Il danse, il tourbillonne, il la poursuit, il la touche presque.

L’orchestre gronde et hurle comme une tempête. L’archet arrache aux instruments des clameurs plus aiguës et plus sauvages.