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À KOLOMEA.

prononcer le nom de Tatiana. Elle, de son côté, lui attacha au cou une petite croix d’argent qui lui venait de sa marraine.

Ces enfants s’adoraient, sans se préoccuper de l’avenir.

L’année 1809 arriva. La guerre éclata. Les Russes se répandirent dans le pays, et ne le quittèrent plus. La paix fut signée, et deux communes de la Galicie orientale passèrent à l’ennemi. Puis vint 1812, de triste mémoire. Napoléon marcha contre Alexandre, son allié de 1809. La Russie entière prit les armes. Garçons, hommes, vieillards, femmes et jeunes filles, tout partit pour la guerre. Les éléments aussi, se mirent de la partie : la tourmente, la neige, le froid, le feu !

Ugari devint soldat. Il fut enrôlé avec un grand nombre. Lorsqu’ils partirent, leurs mères, leurs femmes leurs sœurs ou leurs amoureuses les accompagnèrent. Tatiana marchait à côté d’Ugari. Elle portait son sac. De grosses larmes roulaient le long de ses joues ; elle les essuyait de la paume de sa main. Lui regardait par terre, sans prononcer une parole. Arrivé au crucifix de bois, à l’entrée du village, il s’arrêta, se tourna vers elle et lui dit : « Ne te désole pas, ma chérie. Je reviendrai, quand la guerre sera terminée, ou un peu plus tard, mais je reviendrai, sois-en sûre, aie confiance en Dieu. » Tatiana sanglotait. « Je t’attends », lui répondit-elle, je te resterai fidèle. Chaque soir, je viendrai m’asseoir près de cette croix, et je t’attendrai, depuis le couchant, jusque bien tard dans la nuit. Que Dieu te protège ! »

Ils firent encore une centaine de pas, ou davantage. Tatiana reprit : « As-tu la croix que je t’ai donnée ? — Je l’ai, répondit Ugari. Je la porte sur ma poitrine, avec