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À KOLOMEA.

que quelque fourrure précieuse résistait à son aiguille ; il aimait aussi les dentelles et les effilés de soie. Son fils hérita de ses goûts élevés. Il se serait cru déshonoré s’il avait dû prendre mesure à une aubergiste ou à la femme d’un ouvrier. Pour lui, il n’était pas d’occupation plus chère que de plaquer les étroites bandes de papier qu’il coupait dans de vieux journaux sur la blanche gorge d’une comtesse ou autour de la taille élégante de quelque fille de major.

Mintschew, lui, bien que son père fût colporteur, devint cocher. Quelle que fût l’estime qu’il professât pour l’auteur de ses jours, il ne pouvait dissimuler son mépris pour les peaux de lapin et les vieux habits ; de plus, la perspective de trotter journellement au grand soleil, dans la boue ou dans la poussière, lui faisait horreur. Il adorait son métier et se trouvait plus heureux qu’un roi quand il était assis sur le siège étroit de sa voiture et qu’il faisait claquer son fouet aux oreilles de ses maigres petits chevaux. Il se sentait libre, alors, et plein d’ardeur, et il regardait avec pitié les piétons qu’il rencontrait sur son chemin. Pintschew et Mintschew étaient généralement aimés et estimés dans le pays aussi bien par les chrétiens que par leurs coreligionnaires ; tous deux étaient probes, laborieux et rangés ; ils ne se grisaient pas, ils ne jouaient pas ; ils n’obsédaient pas les jeunes filles par leurs galanteries ; ils n’avaient qu’une passion : discuter ensemble les passages du Talmud. La discussion, il est vrai, était toujours soutenue par Mintschew, car, en fait de raisonnements, Pintschew ne savait que gesticuler. Ils se disputaient en tous temps et en tous lieux, partout où ils se rencontraient, et, comme ils se rencontraient constamment, non par hasard, mais bien parce qu’ils étaient toujours à la re-