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À KOLOMEA.

avait blanchi, et ses yeux d’un bleu pâle ne clignotaient plus. Ils étaient fermés à moitié, comme si ses paupières étaient devenues trop pesantes pour se relever. Sur la tête de Mintschew scintillaient aussi des mèches argentées. Sa longue barbe seule était restée noire, et ses yeux noirs brillaient encore, malicieusement rêveurs, dans son visage ridé et tanné comme du vieux cuir.

« Pintschew, dit Mintschew pour la seconde fois, j’ai à te parler. C’est moi !

— Je ne veux pas t’écouter, répondit enfin le tailleur, je n’ai encore rien pris de chaud aujourd’hui ; j’ai cette jaquette à raccommoder, puis il me faut finir une robe pour madame la commissaire.

— Que me contes-tu là ? répliqua Mintschew. Il y a longtemps que tu ne travailles plus pour madame la commissaire.

— Crois ce que tu veux. Je n’ai aucune envie de discuter avec toi.

— Parce que tu n’as pas un sou. »

Pintschew haussa les épaules et se mit assidûment à boucher le trou de sa jaquette.

« Quel drôle d’homme tu es, mon petit Pintschew ! reprit Mintschew. Voyez un peu : il a besoin d’argent, il souffre de la faim et ne vous en dit pas un mot ! »

Il tira une bourse de cuir du fond de sa poche et posa cinq florins sur la table où était assis Pintschew. Celui-ci les prit, les serra dans sa veste, sans un mot de remerciment. Puis, d’un bond, il descendit de son poste, jeta la jaquette qu’il tenait dans le premier angle venu et s’écria :

« Eh bien ! que te faut-il encore ? As-tu besoin de moi ? Que dois-je t’expliquer, ane-harez, âne obstiné, que me veux-tu ?