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UN JOUR ET UNE NUIT DANS LA STEPPE.

sés et reprendre la route de sa chaumière : Akensy la rejoignit lorsqu’elle n’en fut éloignée que d’une cinquantaine de pas. Il la saisit à bras le corps ; il l’assit à ses côtés, et, tandis que le cheval vaincu reprenait sa course, il appuya passionnément ses lèvres sur celles de la belle captive.

Mon paysan se mit à rire.

« Elle n’est pas pour rien fille d’une sorcière, d’une voyante, me dit-il. Regardez comme elle l’a ensorcelé. »

Le soir tombait lorsque nous reprîmes notre route. L’orient étincelait, noyé de vapeurs aux tons bizarres. Un long susurrement remplissait l’air. Le soleil disparut sans projeter la moindre ombre sur la steppe endormie. La lumière qui s’étalait encore par plaques sur le gazon s’éteignit tout d’un coup. Et l’obscurité s’abattit sur la campagne comme un grand voile.

LA NUIT

Plusieurs années s’étaient écoulées. L’automne tirait à sa fin. Je traversais de nouveau la steppe, lorsque j’y fus surpris par la nuit. Le crépuscule répandait dans la campagne des brouillards pareils à des mousselines et qui s’épaississaient à mesure qu’on s’en éloignait. Les arbres s’effeuillaient. Leurs branches nues s’écartaient dans la brume comme les bras d’un homme tombé à l’eau qui demande du secours. Un étang miroitait, mat, gris de plomb. Le vent courait dans la plaine, arrachait aux rameaux leurs dernières feuilles, et jouait à la