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À KOLOMEA.

pierre brûlante qui serait tombée sur son pauvre cœur, c’est qu’il n’y avait à Brzosteck aucun cheder[1], aucun talmud-thore[2]. Envoyer Jossel au loin ? — Non, ce n’était pas possible, et cependant il était de toute nécessité qu’il partît pour Tarnow où était l’école. Avec quelle persistance ce cœur paternel chercha la solution de ce problème ! Il la trouva enfin. Puisque les études exigeaient que Jossel quittât la maison, la maison partirait avec lui.

Abe Nahum céda son fonds de Brzosteck, et s’en fut à Tarnow, où il devint propriétaire en même temps que marchand. Le bâtiment où il s’installa appartenait par indivis à trente-deux familles. À première vue on supposera que cet immeuble avait les dimensions du palais de Sémiramis, ou pour le moins du Vatican. N’en croyez rien. C’était une simple baraque en bois, à deux étages, avec quatre fenêtres de front. On y aurait vainement cherché une pièce qui fût la propriété d’une seule famille. Toutes étaient séparées par des cloisons. Les plus riches avaient la jouissance d’une moitié de chambre, les moins fortunés d’un quart de chambre, et les indigents d’un huitième de chambre. Abe Nahum en acheta la moitié d’une au rez-de-chaussée, et y ouvrit un magasin de crins de cheval, de soies de porcs et de vessies de toutes sortes d’animaux. Il ne dédaigna pas les peaux de chats, et la femme de maint hobereau se promena, fièrement drapée dans une kasabaïka royale dont il avait fourni l’hermine.

Le sacrifice qu’il avait fait pour Jossel était énorme. À Brzosteck, il était un personnage, le factotum du baron

  1. École.
  2. Institution talmudique pour les enfants pauvres.