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L’ENNEMI DES FEMMES

des yeux d’oiseau de proie. Pendant quelques minutes, il eut l’idée bizarre, saugrenue, de lui faire la cour pour son propre compte.

— Qui sait, se disait-il, si cette orgueilleuse ne serait pas fière de croire à ma défaite ! Elle me redoute. Elle sait bien que je vaux tous ces cavaliers à éperons d’or ou d’argent. Quand même je n’en ferais pas ma dupe, il suffirait qu’elle voulût me prendre au piège, et se moquer de moi, pour que la confiance de Constantin fût entamée.

Mais, à peine Diogène songeait-il à ce jeu satanique qui démentait son dédain habituel, qu’aussitôt il rougissait de lui et que la crainte d’avoir le lendemain devant lui, pour champion de Petrowna, l’invincible Nadège, éteignait l’ardeur de ce projet.

Furieux, vaincu, impuissant, menacé dans son scepticisme par cette irradiation de la pensée de madame Ossokhine, filtrant à travers les consciences de ces jeunes amoureux, Diogène, ne sachant plus que faire, s’en alla boire.

On avait dressé un buffet formidable, dans un petit salon, qui servait aussi de fumoir, et des tables qui permettaient aux buveurs et aux fumeurs de se reposer du brouhaha du bal. On jouait peu, mais on buvait beaucoup.

Diogène s’attabla dans un coin, en face d’une bouteille de vin de Champagne, qu’il regardait, comme si elle eût été le pistolet d’un suicidé, et qu’il étranglait de ses doigts nerveux, comme s’il eût voulu en étouffer l’âme, impuissante à le griser.