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L’ENNEMI DES FEMMES

C’était encore beaucoup pour froisser le sentiment populaire. Mais le pouvoir, devenant aimable, fit aussitôt, par l’entremise d’agents officieux, une démarche conciliatrice auprès de Nadège, en lui offrant la remise complète de sa peine et des abonnements, par ordre, à son journal, si, modifiant quelque peu sa ligne de conduite, elle acceptait le rôle de médiatrice entre le gouvernement et les populations. Quel beau rôle pour une femme que celui d’apaiser les passions, de faire cesser un antagonisme funeste entre les petits-russiens et les polonais, tout naturellement par la soumission des premiers aux seconds, puisque les seconds étaient en général plus instruits, plus riches et plus faits pour diriger le pays que les premiers !

Nadège ne fit qu’une réponse à cette insinuation ; elle demanda à subir immédiatement sa peine. Ce qui lui fut accordé.

Elle voulut d’elle-même, librement et fièrement, se constituer prisonnière.

Un matin, trompant la surveillance de ses amis qui voulaient lui faire cortège, madame Ossokhine sortit furtivement de chez elle, avec la palpitation inquiète d’une femme qui va à quelque rendez-vous. Elle prit des rues détournées pour gagner la gare du chemin de fer, la tête cachée sous un voile, et elle ne respira que quand, ayant payé sa place pour Lemberg, la porte du wagon se referma sur elle, comme une première porte de la prison.

Elle souleva son voile, et jeta un regard souriant