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L’ENNEMI DES FEMMES

Gaskine, au lieu de répondre, s’avança vers elle, la prit dans ses bras robustes et la porta à son traîneau, en criant : Hurrah !

Ce cri fut répété par trois mille paysans Petits-Russiens, et la ferveur que les poitrines mettaient dans ce cri le faisait ressembler à une menace de guerre. On eût dit le formidable hurrah des Cosaques se précipitant sur l’ennemi.

Le traîneau fut un peu de temps avant de pouvoir sortir de la gare. On se pressait autour de Nadège ; sans une vénération, quasi superstitieuse, on l’eût enlevée et portée. On se contentait de la regarder avec des yeux avides de vouloir toucher sa main, ses vêtements. Des députés, des employés, des bourgeois, des juifs, et même des polonais qui, à travers les préjugés de partis, gardaient l’amour national et le sentiment de la justice, l’environnaient, se faisaient connaître d’elle et se disputaient la faveur d’en obtenir un mot, un sourire.

Comment Petrowna put-elle franchir cette muraille humaine qui emprisonnait la prisonnière délivrée ? C’est ce qu’il serait difficile d’expliquer. On eût dit que, déployant sa kazabaïka comme deux ailes de cygne, elle s’était envolée et avait passé au-dessus de toutes les têtes inclinées, pour tomber dans les bras de Nadège.

— Comme vous êtes pâle ! — lui dit madame Ossokhine, entre deux baisers. — Je vois bien que j’aurai à vous gronder.

— Ah ! grondez-moi si vous voulez, chère sœur,