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L’ENNEMI DES FEMMES

ment dégoûté du spectacle, passant dans la matinée sur la place de la ville, aperçut Nadège à cheval, dans un élégant et sévère costume de drap noir bordé de martre, avec une casquette polonaise également en martre.

Le major l’accompagnait en souriant. Ils semblaient partir pour une promenade.

Diogène, dans un premier mouvement de dépit dont il ne se rendit pas compte, faillit s’élancer au devant d’eux, sans savoir ce qu’il dirait ; puis il eut honte de se donner ainsi en spectacle.

Il se dissimula, du mieux qu’il put, derrière les arbres, laissa passer les promeneurs, et, dès qu’ils eurent pris la route qui conduit à la plaine, se mit à les suivre, de loin, les dents serrées, une main dans sa poitrine pour palper son cœur, l’œil sanglant, le front en feu.

Au sortir de la ville, Nadège et le major, qui allaient au pas, mirent leurs chevaux au galop. Diogène essoufflé ne put les suivre. Il s’arrêta, et se trouva tout à coup si las, qu’il s’assit naïvement sur les marches d’une taverne, qu’il ramassa un peu de neige, la mit sur son front et resta quelques minutes absorbé, hébété, cherchant ses idées, sans pouvoir, et presque sans vouloir les ressaisir.

Quand enfin le sang-froid et un peu de force lui furent revenus, il se leva.

— Comment ! se dit-il, je serais jaloux ! moi, Diogène Kamenowitch, jaloux du major ? c’est le dernier terme de l’ineptie et de la lâcheté !