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L’ENNEMI DES FEMMES

— Qu’est-ce que les femmes vous ont donc fait ? demanda ingénuement Constantin.

À cette question de Constantin : Qu’est-ce que les femmes vous ont fait ? le visage de Diogène s’assombrit. Il secoua la tête, et son sourire était amer et douloureux quand il reprit :

— J’ai été marié trois ans. Pendant trois ans, j’ai connu le martyre d’un amour légitime.

Constantin fit un mouvement, Diogène se hâta d’ajouter :

— Oh ! ne croyez pas que ma femme m’ait été infidèle, qu’elle ait eu même à se reprocher la moindre légèreté. Non ; elle était aussi irréprochable que spirituelle. Une vertu de bronze ! qui brillait au soleil et qui vibrait aux échos, mais qui pour moi restait toujours du bronze. J’ai été le mari d’une statue. Voilà pourquoi je suis devenu un briseur d’images. Ah ! vous ne savez pas ce que c’est que d’épouser un objet d’art ! Ma femme avait un cœur pour les mendiants qu’elle nourrissait le vendredi, pour les moineaux auxquels elle distribuait des miettes de pain, pour les phalènes qu’elle empêchait de se brûler à la lampe, pour le chien auquel elle donnait de petits coups de pied caressants, — un cœur enfin pour toutes les créatures vivantes, — excepté pour moi !

Diogène s’arrêta, parut étonné d’en avoir tant dit et regarda Constantin, qui l’écoutait avec le demi-sourire d’un Pygmalion bien sûr d’attendrir les statues.