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L’ENNEMI DES FEMMES

de venir de temps en temps vous faire une petite visite pour soulager mon cœur. Ah !… j’en ai gros là dedans ! Quand on a beaucoup vécu, on a vu beaucoup d’injustices ; on a rêvé bien des révoltes ! ce n’est pas seulement moi qui souffre ; moi, je suis presque un heureux parmi les malheureux… Mais si vous saviez quelle misère !

— Je sais ! dit Nadège pensive.

— La misère des habits, des meubles, ce n’est rien encore ; mais la misère des âmes ! Puisque vous écrivez pour nous, il faut que vous sachiez tout ce qui nous concerne… Il y a des choses !… oh ! des choses que je vous dirai mal, mais que vous écrirez si bien !

— Je vous serai reconnaissante, monsieur Gaskine.

— La reconnaissance ! c’est notre affaire. C’est peut-être un grand bonheur pour les paysans que leur avocat soit une femme, une femme douce, bonne et belle comme vous ! Vous leur porterez bonheur, et vous les empêcherez de perdre jamais patience !

Nadège adressa alors quelques questions au vieux fermier sur la condition des paysans. Elle fut frappée de la netteté, aussi de la prudence avec laquelle il répondait.

Quand il eut fini, elle lui dit en lui serrant la main :

— Vous êtes un homme intelligent, monsieur Gaskine.

— Il nous en faut, de la malice, repartit le fer-