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L’ENNEMI DES FEMMES

— Chère enfant, lui-dit-elle, vous parlez comme j’aurais dû penser à votre âge !

— Vous me comprenez bien, n’est-ce pas ? Non, continua la jeune fille avec orgueil, je ne veux pas aimer pour être méconnue. Oh ! vous qui savez tant de choses, dites-moi donc s’il y a un secret pour donner à celui qui doit être votre mari l’âme qu’on lui souhaite.

— C’est un sortilège que vous me demandez, dit Nadège en entourant de son bras la taille de la jeune fille.

— Vous êtes un si grand esprit ! murmura Petrowna avec un regard suppliant.

— Je ne suis pas un grand esprit, mon enfant, je suis une femme qui a mal commencé et qui ne peut corriger sa vie. J’ai eu vos vanités, vos scrupules ; j’ai été fière, farouche et tendre, comme vous. J’ai cru avoir conquis l’estime de celui dont j’avais l’amour. Il a cessé de m’aimer en continuant de m’estimer ; et cette estime est devenue pour lui aussi odieuse que la haine. Je ne puis vous conseiller de faire ce que j’ai fait ; car, cela m’a bien mal réussi ; et je ne puis vous conseiller non plus le contraire de ce que j’ai fait ; ne serait-ce pas diminuer votre fierté ?

— Alors, madame, la vie des femmes est un hasard.

— Elle est surtout une épreuve.

— Je me tuerais, si je m’étais trompée ! s’écria Petrowna.