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Page:Sacher-Masoch - La Femme séparée, 1881.djvu/141

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LA FEMME SÉPARÉE

la plus grande précaution, afin que Julian n’en entendît rien.

— Cela lui ferait de la peine, chuchota-t-elle ; moi, je ne ferme jamais ; sa présence est, au contraire, pour moi comme celle d’un ange protecteur.

Tout d’abord, cette situation extraordinaire me fit peur. Puis je me réjouis du fond de mon âme, à la pensée des tortures que Julian endurerait sûrement durant cette nuit-là. Il me semblait que tout son être serait labouré comme un champ sous les entailles de la charrue : de profonds sillons déchireraient son âme, où seraient semés la passion et le désir. Lorsque nous eûmes éteint les bougies, je me figurai le voir à genoux, près de la porte, pressant son front brûlant sur le parquet, épiant mon souffle, surveillant mon sommeil. Cette pensée me tourmentait et me rendait heureuse.

— J’aimerais bien savoir ce que fait Julian, dis-je tout bas à Élisa.

— Julian ? il y a longtemps qu’il est endormi, répondit-elle avec un léger rire.

— C’est impossible. Il n’y a pas dix minutes que nous l’avons quitté.

— Cependant, je parie qu’il dort, repartit Élisa d’une voix ferme.

Je m’assis sur mon lit, droite, ne pouvant le croire.