Page:Sacher-Masoch - La Femme séparée, 1881.djvu/98

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
82
LA FEMME SÉPARÉE

— Il ne faut jamais pleurer l’amour qui meurt, disait-il souvent. C’est son sort d’être sans durée, comme c’est le sort de tout sentiment terrestre.

Vraiment, chacun finit par faire l’expérience que sa Dulcinée de Toboso n’est en somme qu’une grossière paysanne.

Mais les âmes qui sont destinées l’une à l’autre, n’est-ce pas ? il n’y a que la mort qui puisse les séparer.

Mme de Kossow s’arrêta, et me regarda avec attention.

— Croyez-vous à un tel amour ? dit-elle après un silence.

— Oui, répondis-je.

Elle se détourna lentement et fixa ses prunelles de velours sur le sol très longtemps.

— Alors, j’ai été aimée de cet amour, murmura-t-elle comme à part soi ; et cet amour, je l’ai raillé et anéanti honteusement.

Elle se leva avec nonchalance et regarda le soleil, qui descendait à l’horizon, dans une fournaise ardente. De longs nuages planaient, semblant se détacher d’une aurore boréale gigantesque, et étalaient dans l’air bleu leurs dentelures de pourpre. Sur la cime des forêts, sur les champs fraîchement coupés, reposait une lueur mate. Les colonnes de fumée du village voisin se teignaient