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XVI

UNE AME SAUVÉE

Verser le sang toujours et toujours, voilà ta gloire.
ALFIERI.

Deux minutes plus tard, Dragomira sortait de la maison et traversait la cour avec Bassi. Sur la route était arrêtée une petite voiture juive, recouverte d’une bâche de toile ; Juri conduisait. Les deux femmes montèrent sans dire un mot, et le misérable équipage se mit en route.

La tourmente de neige avait tout à fait cessé. Quelques étoiles brillaient au ciel ; cependant il faisait noir ; on n’avançait que lentement et avec précaution. Les roues grinçaient dans la neige ; les chevaux soufflaient.

« Ne concevra-t-il pas de soupçons ? demanda enfin Dragomira.

— Il est tout à fait fasciné, répondit Bassi en raillant, il ne nous échappera pas, et pourquoi se défierait-il ?

— Parce que tu lui as donné rendez-vous bien loin de chez toi.

— Je lui ai dit que c’était à cause de mon mari, et il faut bien qu’il le croie. »

Il était tard lorsque la voiture s’arrêta devant le cabaret et que les deux femmes descendirent. À quelque cent pas de la grand’route se dressait la maison, assez vaste, couverte de chaume et entourée d’une haie élevée. Des chiens aboyaient, devant la porte se balançait tristement l’arbuste desséché qui servait d’enseigne au cabaret. Le terrain avoisinant était plat et désert ; mais à une certaine distance s’élevaient des collines plantées de pins. La juive poussa la porte et fit traverser à