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Page:Sacher-Masoch - La Pêcheuse d’âmes, 1889.djvu/121

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LA PÊCHEUSE D’AMES.

Zésim fit deux pas à sa rencontre ; ils se serrèrent les mains et se regardèrent ; puis il releva la manche de la jeune fille et lui baisa le bras.

« J’ai bien des choses à vous dire, commença-t-elle.

— Avant tout, je dois vous demander pardon, dit Zésim, pour avoir douté de vous un instant.

— Et aujourd’hui, pensez-vous autrement ?

— Oui, je vous ai vue hier au théâtre, avec Soltyck. »

Anitta rougit.

« Zésim, cela ne me plaît pas, dit-elle, vous me surveillez… pourquoi ?… Vous me connaissez donc bien peu ?

— Oh ! ce n’était pas de la défiance, c’était le désir ardent de vous voir.

— C’est possible, mais cela me fait de la peine. Vous ne le referez plus, n’est-ce pas ? Vous me le promettez.

— Je vous en donne ma parole. »

Elle le fit asseoir auprès d’elle, sur le dernier banc de l’église. Sous la haute voûte régnait maintenant une obscurité mystérieuse. Seule, une petite lampe rouge était allumée dans une nef latérale, aux pieds de la Mère des douleurs.

« Zésim, dit-elle à voix basse, en lui tenant les mains, j’ai beaucoup souffert ces jours-ci. Jamais je n’en aimerai un autre : jamais je n’en suivrai un autre à l’autel ; mais je n’ai aucune espérance de vous appartenir un jour. On ne me forcera pas à devenir la femme du comte Soltyk, mais on me menace de me déshériter et de me maudire, si je deviens la vôtre. Voilà, mon bien-aimé, ce qui me tourmente et m’afflige. Je donnerais toutes les richesses de cette terre pour vous ; mais, avec la malédiction de mes parents, je ne pourrais jamais être heureuse, même auprès de vous.

— Anitta, ne vous laissez pas intimider par des menaces qu’on ne mettra jamais à exécution, répondit Zésim tout ému ; nous ne vivons plus à l’époque de ces Starostes tout puissants qui enfermaient entre quatre murs leurs femmes infidèles et emprisonnaient dans un couvent leurs filles désobéissantes. Aujourd’hui, ces choses-là ne se voient plus qu’au théâtre. On ne maudit pas sa fille unique parce qu’elle suit le penchant de son cœur.

— Vous ne connaissez pas mes parents ; ils sont bien plus de l’ancien temps que vous ne croyez.

— Je vois qu’on vous a découragée.

— Non, mon bien-aimé, certainement non. Que dois-je faire ?