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Page:Sacher-Masoch - La Pêcheuse d’âmes, 1889.djvu/137

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LA PÊCHEUSE D’AMES.

— Anitta pleure la perte de son favori, monsieur le comte, répondit Mme Oginska, elle a trouvé son serin mort dans la cage, subitement, sans qu’il ait été malade. »

Anitta tenait le petit cadavre allongé dans sa main rose, et elle le montra au comte, sans pouvoir dire un mot, à cause de son chagrin.

« Pauvre petite bête ! dit-il ; mais il n’est pas impossible de le remplacer. »

Anitta secoua la tête.

« Nous trouverons bien quelque chose qui vous console, continua Soltyk, même quand il faudrait dépouiller tous les pays pour vous arracher un sourire, mademoiselle. Ah ! Je vous en prie, ne pleurez pas. Je mettrais le monde entier ou ma tête à vos pieds, pour vous rendre la gaîté. »

Il prit congé en toute hâte et Anitta resta seule avec son petit favori mort et son chagrin.

Lorsque le comte revint et s’approcha d’Anitta, un sourire heureux, presque enfantin, se jouait sur ses lèvres orgueilleuses, et ses yeux sombres brillaient d’un éclat triomphant. Il présenta le bras à la jeune fille, qui avait encore des larmes à ses longs cils soyeux, et, sans dire un mot, la conduisit dans la serre. Là se trouvaient une demi-douzaine des serviteurs du comte ; chacun d’eux tenait un sac, et, quand le comte, comme un sultan, frappa dans ses mains, tous les sacs furent grands ouverts. De tous côtés, avec des gazouillements sonores, des serins d’un jaune éclatant s’échappèrent, se mirent à voltiger autour des deux jeunes gens, et allèrent se percher sur les feuilles et les branches flexibles des palmiers, des orchidées, des lianes, des orangers et des citronniers, remplissant l’air de leurs sifflements joyeux et de leurs chants.

Anitta resta toute surprise un moment ; puis un doux sourire apparut sur son visage ; elle essuya ses yeux et tendit la main au comte pour le remercier. Les serviteurs, sur un signe du maître, s’étaient promptement éloignés.

« Je vous ai apporté, dit le comte en riant, tous les serins que j’ai pu découvrir dans Kiew. Peut-être, dans la quantité, en trouverez-vous un qui soit digne de devenir votre favori. »

Anitta ouvrit sa bouche vermeille ; elle voulut parler, mais la parole expira sur ses lèvres devant le regard enflammé du comte, et elle se détourna, intimidée et confuse, pour aller sous la voûte verdoyante et sombre des plantes exotiques à travers lesquelles voltigeaient, en folâtrant, les petits oiseaux