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LA PÊCHEUSE D’AMES.

il vit dans un angle de la rue une femme de haute taille, entourée d’une bande de jeunes gens contre qui elle se défendait courageusement par ses paroles et par son attitude.

Au moment où Soltyk précipitait ses pas pour porter secours à la femme attaquée, celle-ci, d’un coup violent, étendit par terre un de ses agresseurs ; et, pendant que les autres reculaient effrayés, elle dirigea sur eux un revolver.

« Celui qui approche, je le tue comme un chien, » cria-t-elle d’une voix qui ne laissait rien à désirer en fait d’énergie.

Soltyk continua néanmoins à s’avancer vers elle et ôta son chapeau.

« Permettez-moi, mademoiselle, de vous offrir mes services. Vous avez besoin de secours à ce qu’il semble.

— J’ai appris à me défendre moi-même, répondit-elle, pendant que ses grands yeux qui brillaient à travers son voile s’attachaient sur le comte avec un intérêt particulier. Toutefois j’accepte volontiers votre assistance. Donnez-moi le bras. »

Cependant l’homme qui avait été renversé s’était relevé, et ses camarades revenaient à la charge contre la jeune femme et le comte.

« Voilà pourquoi elle faisait la bégueule, cria l’un de la bande, il paraît que notre cœur est déjà donné !

— Ou que le chevalier que nous avons trouvé tout à coup nous plaît mieux ! ajouta un autre.

— Au moins nous aurons là quelqu’un qui pourra nous rendre des comptes, s’écria un troisième.

— Vous rendre des comptes ? s’écria Soltyk, vous êtes bien heureux qu’on ne vous en demande pas. Au large, ou gare à mon poing !

— Allons-y ! »

Le comte n’attendit pas un deuxième défi ; il brandit sa canne, et après une mêlée de quelques instants, la route fut dégagée. Un des assaillants se blottissait dans la neige ; un autre, dont le front saignait, s’appuyait à la maison. Les autres s’étaient enfuis épouvantés.

Soltyk offrit son bras à l’inconnue, et l’accompagna dans la direction qu’elle lui indiqua. Cette personne de haute taille, qui marchait à côté de lui avec une majesté pleine d’aisance, lui faisait une impression particulière, qui le surprenait et le charmait à la fois. Jamais, jusqu’à présent, il n’avait vu une femme réunir tant de véritable dignité, tant d’indépendance, tant d’assurance. De temps en temps il jetait un furtif et rapide