Il revint bientôt et eut la chance de trouver la jeune fille seule. Comme il traversait la cour en se dirigeant vers la maison, Dragomira, qui était venue à la fenêtre, le regarda. Il remarqua en elle un mouvement d’impatience et en même temps de dédain.
« Ah ! vous voilà déjà de retour ! dit-elle avec une indifférence blessante.
— Je ne perds pas si facilement courage, répliqua Zésim, autrement pourquoi serais-je soldat ?
— Mais je suis seule et ne puis vous recevoir.
— Seule ? Tant mieux. Quant aux règles sévères de l’étiquette, vous pouvez bien les enfreindre pour moi.
— Entrez donc, » dit Dragomira après une courte hésitation.
Zésim traversa le vestibule. Au mur était suspendu un grand crucifix devant lequel brûlait une petite lampe. Il passa ensuite dans le corridor, plein de l’odeur de l’encens. Dragomira se tenait sur le seuil de sa chambre ; elle lui tendit la main.
« En vérité, je suis bien enfant, dit-elle, qu’ai-je à craindre de vous ?
— Voilà que vous parlez raisonnablement, reprit le jeune officier en souriant, et puisque vous avez fait le premier pas, je fais le second et je vous prie de m’appeler comme autrefois, quand vous étiez ma petite femme dans la tranquille petite maison de gerbes dorées.
— Oui, je le veux bien, à condition que vous promettiez de ne pas me faire la cour.
— Je vous en donne ma parole, répondit Zésim, mais ce que je ne peux pas vous promettre, Dragomira, c’est de forcer mon cœur à se taire ; il parle beaucoup trop haut. Rappelez-vous les vers de Pouschkine :
Mon cœur aimant encore brûle et palpite,
Parce qu’il lui est impossible de ne pas t’aimer.
— Je ne peux pas te défendre de sentir quelque chose pour moi, dit la belle jeune fille avec calme, mais je ne puis répondre à tes sentiments. Jamais je n’aimerai, jamais je n’appartiendrai à un homme.
— Veux-tu devenir la fiancée du ciel ?
— Il est plus méritoire de combattre dans le monde que derrière les murs, là où il n’y a pas de tentation.