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Page:Sacher-Masoch - La Pêcheuse d’âmes, 1889.djvu/154

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LA PÊCHEUSE D’AMES.

fermés par nos sentiments, nos désirs, sans nous demander : où arriverons-nous à la fin ?

— Où ? Oui, cette question, la vie ne cesse de nous la poser sans jamais y répondre, dit Zésim ; l’existence tout entière se résume en dernier lieu à se demander avec anxiété : « Où allons-nous ? » Et la réponse définitive qui nous est faite quand nos yeux se sont fermés et que nous ne pouvons plus entendre la voix qui nous délivrerait de nos incertitudes, c’est… la tombe. Faut-il attendre si longtemps, Dragomira ?

— Non, non, certes non. »

Elle avait peur. Elle frissonnait encore lorsque Zésim l’entoura de son bras et l’attira à lui.

« Ne me touche pas, murmura-t-elle avec un nouvel effroi, je t’en prie. »

Il la quitta et la considéra avec une surprise presque enfantine ; il cherchait à lire dans ses yeux, mais en vain ; il y avait comme un voile épais devant l’âme de Dragomira ; il ne la comprenait pas ; il se mettait l’esprit à la torture pour la deviner et n’y réussissait pas le moins du monde.

« J’ai un projet pour demain, dit-elle au bout de quelques moments de silence, veux-tu m’accompagner ?

— Oui, certes, et où vas-tu ?

— À Myschkow, à cheval.

— Par ce froid ?

— Pourquoi pas ?

— Comme tu voudras. »

Cirilla entra et prépara le thé. On parla de choses indifférentes, du théâtre, de la politique, de la ménagerie et des étudiants de l’Université. Lorsque Zésim prit congé de Dragomira et qu’elle le reconduisit jusqu’à l’escalier, deux yeux se dirigèrent sur lui à travers l’obscurité, sans qu’il le remarquât, deux yeux qui épiaient et brillaient comme ceux d’un loup. Quand il se fut éloigné, la juive sortit de l’ombre où elle était cachée et suivit Dragomira dans sa chambre.

« Tu l’as vu ? » demanda Dragomira.

Bassi fit signe que oui.

« Le reconnaîtrais-tu ?

— Je le pense ; un homme tel que lui ne s’oublie pas si facilement.

— Écoute donc ce que je vais te dire, continua Dragomira. Je veux être instruite de tous les pas de cet homme, de tous, tu comprends bien ! Tu l’observeras et tu le feras surveiller par tes gens.