Aller au contenu

Page:Sacher-Masoch - La Pêcheuse d’âmes, 1889.djvu/166

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
162
LA PÊCHEUSE D’AMES.

petits, qui, par une disposition ingénieuse, figuraient les cinq parties du monde. Ceux qui voulaient fuir la foule et se retirer à l’écart y trouvaient de fort agréables abris. On traversait ensuite la salle à manger, garnie de tableaux de fruits et d’animaux, de bois de cerfs, de têtes de bêtes, d’armes et de tout l’attirail de la chasse. Un buffet gigantesque offrait les rafraîchissements et les friandises de tous les pays de la terre. On arrivait dans l’antichambre, où plusieurs domestiques attendaient avec les manteaux. Soltyk enveloppa soigneusement les dames de leurs molles et chaudes fourrures et les conduisit sur la terrasse. À leurs pieds s’étendait le vaste jardin où, par un contraste ravissant avec la grande salle de danse, se déployait une nouvelle merveille, une féerie d’hiver. Des deux côtés de la terrasse, deux ours blancs, empaillés et debout, étaient en faction et tenaient des torches dans leurs puissantes pattes.

Quand le comte et ses invités eurent descendu les marches recouvertes de fourrures d’ours, ils entrèrent dans une large allée d’arbres verts transformés en autant d’arbres de Noël. Sur chaque branche étaient plantées de petites bougies en porcelaine d’où jaillissaient des flammes de gaz. On s’avançait comme dans un bois féerique, à travers un océan de lumière, sur de molles peaux de rennes qui recouvraient la terre glacée. L’air, embaumé de senteurs résineuses, était rempli de légers nuages roses.

Au bout de l’allée s’étendait un étang considérable, dont les bords étaient également garnis de peaux. Sur sa brillante surface, solidement gelée, s’élevait un petit temple bâti en blocs de glace, comme le célèbre palais construit sur la Néwa du temps de la czarine Anne. Dans ce temple, sur un autel élevé, se dressait une Vénus de glace, couronnée de fleurs. Tout autour du temple allaient et venaient joyeusement les patineurs et deux traîneaux attelés, l’un de rennes, l’autre de grands chiens. Le premier était dirigé par un Esquimau, le second par un Kamtschadale. Un chœur de chanteurs, composé d’ours blancs installés dans une tribune de bois toute revêtue de branches de sapin, accompagnait de ses airs les plus agréables les ébats des masques sur la glace, pendant qu’un cordon de dauphins de glace, qui encadraient l’étang et vomissaient sans relâche du pétrole enflammé, éclairait ce tableau d’une lumière magique et faisait de temps en temps briller le petit temple comme un édifice de diamants aux mille feux.