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Page:Sacher-Masoch - La Pêcheuse d’âmes, 1889.djvu/180

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LA PÊCHEUSE D’AMES.

— Adieu. »

Zésim lui baisa la main et elle partit en hâte. Il resta immobile quelques instants, abîmé dans ses pensées, sous ces voûtes sombres.

Qu’était-ce donc que ce mystère dans lequel une volonté étrangère emprisonnait Dragomira ? se demandait-il. Elle en était convenue elle-même et Anitta l’avait pénétrée. Qui étaient ces autres qui la menaient et l’employaient comme un instrument ? Appartenait-elle à une secte et à laquelle ? Pourquoi se défiait-il d’elle, et pourquoi ne pouvait-il la quitter, s’il doutait d’elle ? L’aimait-il véritablement autant que cela ? Et Anitta ? Est-il possible d’aimer deux femmes en même temps ? « Tu es le lien des deux natures qui se sont unies dans l’espace et dans le temps », chante Derschavine dans son ode à Dieu. Ces deux natures si souvent en désaccord se combattaient aussi en lui. L’une l’élevait vers la lumière, vers Anitta, l’autre l’entraînait dans cet obscurité sinistre où Dragomira vivait et régnait. Pensées contradictoires, émotions, projets, tout se croisait dans sa tête, dans son cœur, et il n’aboutissait à aucune résolution, à aucun acte. En ce moment encore, il ne savait à quoi s’en tenir. Les flots le poussaient en avant et il se demandait de nouveau où il allait.

Une heure après le départ d’Anitta, Bassi Rachelles se glissait déjà dans la chambre de Dragomira pour l’informer du rendez-vous des deux jeunes gens.

« Tu es sûre que c’était lui ? demanda Dragomira.

— Le lieutenant Jadewski, aussi vrai que je suis ici.

— Et de quoi ont-ils parlé ?

— De vous, noble maîtresse.

— De moi ?

— Elle l’a averti de se tenir sur ses gardes, mais il n’a pas ajouté foi à ses paroles.

— Et n’ont-ils pas parlé d’amour ?

— Non. Seulement, quand elle est partie ; il lui a demandé s’il la reverrait, et elle a répondu : « À quoi bon ? Maintenant, non. »

— Bien, tu peux t’en aller. »

Immédiatement après le départ de la Juive, Dragomira écrivit deux lettres, l’une au comte, signée des initiales de son nom ; l’autre à Zésim, sans signature, avec une écriture contrefaite. Elle leur donnait rendez-vous à tous les deux à l’Opéra. Barichar se chargea personnellement de la lettre adres-