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Page:Sacher-Masoch - La Pêcheuse d’âmes, 1889.djvu/195

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LA PÊCHEUSE D’AMES.

enfin les quatre couples royaux exécutèrent un menuet. Après quoi tous ces personnages se séparèrent, et les messieurs se pressèrent autour des quatre reines pour leur présenter leurs hommages.

Dragomira fut la première qui se déroba à ce feu d’artifice de galanteries. Son regard cherchait Soltyk, qui se tenait à l’écart et se contentait de la contempler avec une muette admiration. Elle lui fit signe avec son éventail, et il arriva immédiatement auprès d’elle.

L’orchestre fit alors retentir de nouveau ses airs entraînants à travers les vastes salons, magnifiquement décorés ; de nouveau recommencèrent les légères déclarations, les fugitives promesses, les volages refus, les tendres regards des yeux jaseurs, les charmants bavardages des lèvres épanouies, le tourbillon de la danse échevelée. Mais il y avait deux créatures humaines qui s’étaient éloignées de cet ardent tumulte et qui ne semblaient respirer que l’une pour l’autre, comme si elles s’étaient trouvées dans une île déserte. Le comte et Dragomira s’étaient réfugiés dans un petit cabinet où le bruit de la musique, des voix joyeuses, des robes frémissantes ne parvenaient plus qu’adouci comme le lointain murmure de la mer. Elle était assise sur un petit sofa, dans un coin, et lui, sur un tabouret, en face d’elle. De temps en temps ils échangeaient deux ou trois mots, pas plus, mais ils se regardaient et chacun lisait dans les yeux de l’autre. Il se penchait vers elle ; son éventail seul les séparait ; mais elle n’avait pas besoin de protection ; elle ne savait pas ce que c’est qu’une faiblesse. Mais à travers cette glace dont elle était enveloppée s’échappait une douce chaleur qui encourageait le comte. Il sentait qu’elle ne le regardait pas comme tous les autres et il commençait à espérer.

Il lui prit la main à l’improviste. Elle ne la retira pas et laissa même tomber l’autre avec l’éventail ; mais ses yeux froids le tenaient immobile comme par l’effet d’un charme.

« Dragomira… murmura-t-il ?

— Que voulez-vous ? demanda-t-elle avec calme.

— Que vous m’écoutiez.

— À quoi bon ? Je sais ce que vous me direz. Et vous devez connaître aussi ma réponse.

— Quand vous me l’aurez faite.

— Je n’ai qu’une réponse à vous faire ; Souvenez-vous de vos devoirs.