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LA PÊCHEUSE D’AMES.

billés à la turque, un deuxième traîneau rempli de masques grotesques de toute espèce, ours, juifs polonais, moines mendiants, coqs gigantesques et personnages de la pantomime italienne. Puis venaient les traîneaux avec les messieurs et les dames : Oginski et madame Monkony, Monkony et madame Oginska, Soltyk et Anitta, Henryka et Bellarew, Zésim et Dragomira. Les traîneaux étaient escortés de jeunes cavaliers en costume polonais. La marche était fermée par des Cracoviens coiffés du bonnet rouge carré, orné de plumes de paon, et montés sur de petits chevaux dont les crinières étaient décorées de rubans de diverses couleurs.

À peine était-on sorti de la ville que chevaux et traîneaux se mirent à courir, comme s’ils volaient, sur la magnifique couche de neige qui recouvrait la route. Villages, hameaux, bois, collines disparaissaient rapidement derrière le cortège qui semblait entraîné par quelque bonne fée et qui arriva en un clin d’œil à Romschin, où les paysans l’attendaient en habits des dimanches et l’accueillirent par de joyeuses acclamations.

Au bas de l’escalier se tenait le maréchal du palais, vêtu à l’ancienne mode polonaise, avec son bâton. Il était entouré de domestiques portant le costume du siècle dernier. Derrière le château, les petits canons de fer, nobles joujoux du temps des menuets et de la queue, tiraient des salves de bienvenue.

On monta deux à deux. Quand on se fut débarrassé des vêtements d’hiver et que les dames eurent rajusté leurs toilettes devant le miroir, on passa à table. La vieille et massive argenterie de la famille s’étalait dans toute sa splendeur et les habi (gâteaux) s’élevaient en forme de tour de Babel à une hauteur incroyable.

Pendant le dîner le ciel s’obscurcit et peu de temps avant le dessert la neige se mit subitement à tomber, non pas en flocons, mais en masses énormes. C’était comme si le ciel blanc de l’hiver se fût précipité tout d’un coup sur la terre. En même temps il s’élevait une violente tempête qui ne tarda pas à souffler avec rage à travers les fenêtres et les portes ; les murs en étaient ébranlés, et dans les cheminées retentissait un bruit comparable à celui des trompettes du jugement dernier.

Le maréchal annonça avec une mine toute déconfite qu’un ouragan de neige ; ce simoun d’hiver des plaines sarmates, était en marche. Dans le premier moment tous se regardèrent