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Page:Sacher-Masoch - La Pêcheuse d’âmes, 1889.djvu/213

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LA PÊCHEUSE D’AMES.

devant la maison de Sergitsch. Pour ne pas éveiller de soupçons, le P. Glinski tira de sa poche une petite pipe, la bourra avec du tabac et tint tout prêts son briquet et son amadou. Au bout de quelque temps la porte s’ouvrit ; alors il tourna le dos, battit le briquet et posa l’amadou allumé sur sa pipe, pendant que le comte, les cheveux rabattus sur le front, regardait Dragomira en plein visage. C’était bien elle qui sortait habillée en homme. À la vue des deux hommes, elle resta un instant interdite, puis elle partit à grands pas dans la rue.

« Que signifie ce travestissement ? murmura Soltyk, quelque aventure d’amour ?

— Non, répliqua Glinski à voix basse, cette jeune fille est de pierre, et la pierre ne prend pas feu si facilement. Il s’agit ici de tout autre chose.

— Je veux la suivre, dit Soltyk.

— Gardez-vous en bien, dit le jésuite, vous gâteriez peut-être tout ce que je suis parvenu à faire à force de sagacité et de peine.

— Je serai très prudent, répondit le comte, mais je veux une certitude. »

Il quitta le jésuite et suivit Dragomira en toute hâte. Malgré l’avance qu’elle avait, il l’eut bientôt rejointe. Elle ne le remarqua que lorsqu’ils furent arrivés près du cabaret Rouge. Elle s’arrêta subitement pour le laisser passer et le regarda bien en face. Soltyk eut l’heureuse idée de faire l’ivrogne. Il se mit à tituber et à chanter d’une voix contrefaite et rauque une chanson de Cosaque. Dragomira s’y laissa tromper. Elle entra dans le cabaret et ne conçut pas plus de soupçon lorsque le comte entra derrière elle, et, frappant du poing sur la table, demanda de l’eau-de-vie.

Il n’y avait avec eux dans le cabaret que Bassi Rachelles, qui disparut aussitôt qu’elle eut échangé quelques paroles avec Dragomira, et immédiatement le dompteur Karow entra dans la salle.

À la vue de ce bel athlète, Soltyk eut un mouvement de rage ; mais il se contint, vida son verre d’eau-de-vie, laissa tomber sa tête sur ses bras croisés sur la table et fit semblant de dormir.

Karow s’était assis près de Dragomira et causait avec elle à voix basse.

« Depuis quelque temps, on observe chacun de vos pas, dit-il, je ne suis venu que pour vous en avertir.