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LA PÊCHEUSE D’AMES.

— Jamais.

— Vous êtes donc absolument insensible ? »

Le comte se jeta à ses pieds et la serra passionnément dans ses bras, cachant son visage en feu dans les flots de soie, de dentelle, de fourrure et de velours qui enveloppaient cette froide créature. Dragomira irritée se dégagea brusquement de son étreinte.

« Comte, murmura-t-elle, si vous vous approchez de moi encore une fois, une seule fois, tout est fini entre nous.

— Pardon ! dit-il d’une voix suppliante et toujours à genoux devant elle, je ne voulais pas vous offenser. Vous êtes injuste envers moi, si vous m’attribuez quelque intention qui pût blesser votre orgueil. Je le jure devant Dieu, je n’ai rien dans l’esprit qui puisse vous offenser.

— Vous n’avez pas besoin de le dire.

— Je n’ai qu’une pensée, faire de vous la maîtresse de tout ce qui m’appartient, faire de vous ma femme.

— Je le sais, dit Dragomira, et c’est là précisément l’erreur fatale qui est entre nous comme un abîme. Vous voyez en moi une femme ordinaire. Je ne suis pas cette femme-là. Jamais, je ne donnerai à un homme mon cœur, et encore moins ma main.

— Quelle fantaisie ?

— C’est absolument sérieux.

— Et vous êtes réellement inflexible ?

— Vous le voyez. Relevez-vous donc, cher comte, vous attendririez une vieille statue de saint avant de m’attendrir. Relevez-vous. »

Soltyk se releva.

« Et maintenant, asseyez-vous près de moi et écoutez-moi. »

Soltyk obéit.

« Oubliez ce milieu dans lequel vous me voyez, continua Dragomira, oubliez ces meubles modernes, ce poêle russe, supprimez par la pensée cette toilette, ces vêtements sarmates, ces dentelles, ces pantoufles qui rappellent le sérail ; imaginez-vous que je porte une longue robe blanche, un voile, des sandales aux pieds, et vous comprendrez ce que je suis.

— Une vestale ?

— Une prêtresse.

— Vous avez raison. Il ne vous manque que le couteau du sacrifice ; la victime est prête. »

Qu’y eut-il dans les paroles du comte qui fit tressaillir ce