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Page:Sacher-Masoch - La Pêcheuse d’âmes, 1889.djvu/239

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LA PÊCHEUSE D’AMES.

mous. Sur ces divans étaient assises ou étendues, dans des poses pittoresques, les brunes filles de l’Inde aux yeux de gazelle, vêtues de blanc et chargées de bijoux magnifiques. Elles riaient et causaient avec les élégants messieurs et les officiers qui leur faisaient la cour.

De temps en temps, une demi-douzaine de ces jeunes beautés s’élançait dans la salle et exécutait une danse fantastique en s’accompagnant de tambours de basque.

Tarajewitsch laissa le comte appuyé contre une colonne et entama une conférence secrète avec une vieille bohémienne que Glinski lui avait indiquée et recommandée.

La plus belle des houris de ce féerique paradis de Mahomet s’avança bientôt vers le comte et lui tendit la main. Elle était élancée, bien proportionnée, et pouvait rivaliser avec n’importe quelle statue de Vénus. Son visage, légèrement bruni, aux lignes distinguées, était éclairé par deux grands yeux noirs où brillait une flamme étrange. Ses cheveux, entrelacés de perles et de corail, tombaient en boucles opulentes sur ses épaules. Elle avait des pantoufles brodées d’or, un pantalon turc bouffant, une jupe courte bigarrée, un corsage parsemé de pierreries. Tout son costume était en soie rouge épaisse. Chacun de ses bras nus était orné de plusieurs anneaux d’or.

« Bonsoir, comte, dit-elle en souriant.

— Tu me connais ?

— Et toi, ne me connais-tu pas ? Je suis Zémira ; on m’appelle l’étoile de Kiew. Est-ce que je te plais ?

— Demande cela à ton amoureux.

— Je n’en ai pas, Dieu le sait !

— Si tu veux attraper quelqu’un, adresse-toi à qui croit encore aux serments des bohémiennes.

— Oh ! tu es fin ; mais cette fois tu te trompes. Toi qui fais battre le cœur de toutes les femmes, ne serais-tu pas capable de séduire celui d’une pauvre petite bohémienne ? Viens, dis-moi que tu me trouves belle.

— C’est vrai, tu es belle.

— Et on aime ce qui est beau, n’est-ce pas ? Alors aime-moi. »

Soltyk se mit à rire.

« Ne ris pas, s’écria Zémira en frappant du pied, je veux que tu m’aimes. Tiens, prends et bois, et tu brûleras d’amour pour moi. »

Elle tira un petit flacon et lui le donna.