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IV

LA MISSION

On dirait que dans le livre du ciel les plus beaux passages, les plus saintes légendes de paix et d’amour qu’enseignent les religions, ont été biffés de raies noires par les mains des hommes.
ANASTASIUS GRÜN.

Pendant que Zésim, triste et l’esprit tourmenté par les impressions les plus contradictoires, reprenait le chemin de sa demeure, le soir était venu, l’épaisse brume d’automne s’était levée, et, comme une mer aux vagues silencieuses, s’était répandue sur la vaste plaine.

Dragomira, les bras croisés sur la poitrine, se tenait à la fenêtre et regardait fixement dans la cour comme dans une chaudière de sorcières bouillonnante, d’où se seraient élancés des fantômes nocturnes enveloppés de linceuls traînants, des démons aux gigantesques ailes de chauve-souris, ou des gnomes à la longue barbe grise. Tout à coup, de l’épais brouillard sortit un paysan petit-russien, d’une taille de géant, avec une chevelure blonde touffue comme celle d’un Samson. Il s’inclina profondément devant elle.

« C’est toi, Doliva ? demanda Dragomira en se penchant à la fenêtre.

— Oui, c’est moi, dit le géant à voix basse, le prêtre m’envoie, il attend la noble demoiselle.

— Maintenant, sur-le-champ ?

— Oui, sur-le-champ. »

Dragomira fit signe de la tête et disparut. Elle changea de vêtements à la hâte et descendit dans la cour, où Doliva tenait