— C’est la preuve que je suis conséquente avec moi-même.
— Ne vois-tu donc pas combien je souffre ?
— Est-ce ma faute ? T’ai-je fait des promesses que je ne tienne pas ? Ne t’ai-je pas tout dit d’avance ?
— Tu as raison, dit Zésim, je suis fou, pardonne-moi. »
Il se mit à genoux devant elle et lui baisa les mains.
Elle souriait, et il était heureux encore une fois. Mais ce bonheur ne dura pas longtemps. Bedrosseff entra, et avec son rire sec le fit tomber de son ciel.
« Je vous dérange ? demanda-t-il en clignant de l’œil à Dragomira, cela m’en a tout l’air ; j’en suis fâché ; mais j’ai à vous parler d’une affaire importante, mademoiselle ; deux mots seulement…
— Laisse-moi seule avec lui, dit tout bas Dragomira à Zésim, c’est un vieil ami de ma famille, il a sans doute quelque commission pour moi. »
Zésim sortit, mais bien à contre-cœur et avec une imprécation sur les lèvres à l’adresse du commissaire de police.
Dragomira s’assit dans un coin du sopha, et Bedrosseff prit un fauteuil en face d’elle. Elle avait eu la précaution de se placer dans l’ombre, tandis que la lumière tombait en plein sur le commissaire. Elle voulait l’observer, et, autant que possible, se soustraire à son regard pénétrant.
« Vous avez connu Pikturno ? dit-il d’un ton indifférent. Il me semble que vous m’en avez parlé.
— Oui, je l’ai vu une ou deux fois.
— Vous m’avez dit aussi qu’il avait été la victime d’un duel à l’américaine.
— Je le crois.
— Son adversaire était le comte Soltyk ?
— C’était une conjecture.
— Je puis vous dire aujourd’hui de la façon la plus certaine que vous vous trompiez, répliqua Bedrosseff, brusquement, dans l’intention de troubler Dragomira, Pikturno a été assassiné.
— Ah ! c’est vraiment curieux. Et les assassins, les a-t-on découverts ?
— Je suis sur leurs traces.
— On ne pouvait moins attendre de votre pénétration et de votre habileté. Et quels mobiles donne-t-on de ce meurtre ? A-t-on volé Pikturno ?
— Quant à cela, je dois encore me taire.