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Page:Sacher-Masoch - La Pêcheuse d’âmes, 1889.djvu/247

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LA PÊCHEUSE D’AMES.

— Ne m’interrogez pas. Venez avec moi, et sur-le-champ. Mais il faut vous habiller en paysan.

— Bon. Permettez-moi seulement de prendre quelques dispositions et d’emmener avec moi un de mes agents.

— Sans doute. Il faut qu’il s’habille comme vous.

— Rien de plus facile.

— Je vous attends dans le voisinage de notre maison et le plus tôt possible.

— Dans une demi-heure. »

Henryka fit un signe d’assentiment. Elle tendit la main à Bedrosseff et partit pour changer de vêtements chez Sergitsch.

La demi-heure n’était pas encore écoulée que Bedrosseff arrivait près de la maison de M. Monkony en compagnie de Mirow, un de ses agents. À une cinquantaine de pas de la maison était arrêté un simple traîneau de campagne attelé de trois petits chevaux maigres. Dans le traîneau une femme à la taille élancée se leva et fit signe au commissaire de police qui approcha rapidement. C’était Henryka, avec les bottes, la jupe courte de percale, la pelisse en peau de mouton et le mouchoir de tête bariolé d’une paysanne petite-russienne. Elle l’accueillit en lui serrant la main. Bedrosseff et son compagnon montèrent dans le traîneau. Ils étaient habillés tous les deux en paysans petits-russiens, avec de grandes bottes, des pantalons bouffants et de longues redingotes en drap brun, grossier et velu, coiffés de bonnets en peau d’agneau et armés de poignards et de revolvers.

Henryka donna un signal au paysan Doliva qui conduisait et l’attelage se mit en mouvement.

Quand ils eurent laissé Kiew derrière eux, Bedrosseff commença à interroger Henryka avec son ton léger et enjoué. Celle-ci était préparée et elle répondit avec tant de finesse et de précision à toutes ses demandes, qu’il lui était impossible de concevoir le plus petit soupçon.

« Qu’est-ce qui vous a déterminée, ma chère et noble demoiselle, dit Bedrosseff, à me rendre un service si important ?

— Votre dernière conversation avec Dragomira, dit-elle en Souriant, l’envie de voir quelque chose de nouveau, d’extraordinaire, l’attrait qu’il y a à chercher le danger.

— Pour une jeune dame, ce n’est pas un motif absolument extraordinaire.

— Oh ! c’est que j’ai du courage !