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Page:Sacher-Masoch - La Pêcheuse d’âmes, 1889.djvu/252

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LA PÊCHEUSE D’AMES.

Henryka garda le silence.

« Vous êtes étonnée que je me permette d’exprimer un pareil soupçon ? continua l’agent de police, mais je surveille Mlle Maloutine depuis pas mal de temps, et j’ai toutes sortes de motifs de supposer qu’elle est au courant de la mort de Pikturno et peut-être qu’elle y a pris part.

— Ce n’est pas impossible.

— Alors vous êtes d’avis qu’elle pourrait bien avoir des rapports avec cette secte et participer à ces actes sanguinaires ?

— Oui.

— Avez-vous remarqué quelque chose en ce sens ?

— Non, mais Dragomira est une exaltée, et je ne crois pas que l’idée de verser le sang lui ferait peur. »

En ce moment une forme de femme à cheval sortit dans le lointain de derrière les arbres et fit un signe à Henryka avec le mouchoir blanc qu’elle tenait à la main. L’agent de police n’aperçut point ce signe, parce qu’il était tourné du côté d’Henryka et l’observait avec la plus grande attention.

« Qu’est-ce que c’est ? murmura Henryka, il y a là-bas quelqu’un qui se dirige vers nous. »

L’agent de police tourna la tête. Au même instant Henryka sortit un revolver et fit feu sur lui. Le coup retentit presque solennellement dans le silence de la nuit. L’agent de police se retourna comme par un mouvement machinal vers Henryka et tomba du traîneau, la figure en avant, dans la neige.

Henryka sauta à bas du traîneau et le releva. Il ne pouvait pas parler, car des flots de sang lui sortaient de la bouche ; mais il vivait encore et la regardait fixement avec des yeux tout grands ouverts.

« Réconcilie-toi avec Dieu, lui dit Henryka, tu es entre mes mains et je vais t’immoler en expiation de tes péchés. »

L’agent de police leva les deux poings, puis retomba en arrière. Henryka lui appliqua sur le front la gueule de son revolver et tira. Le premier acte de ce drame sanglant était terminé.

En entendant le premier coup, Bedrosseff s’était levé et, son revolver à la main :

« Viens vite ! » avait-il crié à Doliva.

Puis il s’était précipité hors du cabaret pour s’élancer dans la direction de la forêt. À moitié chemin, Karow à cheval arrivait à sa rencontre.

« Halte ! cria Bedrosseff en s’arrêtant, le revolver braqué sur lui, halte ! ou je fais feu ! »