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XV

PERDU

La Fortune ne connaît pas la fidélité.
ULRICH DE HUTTEN.

Après le départ de Mme Maloutine et de Mme Monkony, Dragomira et Henryka restèrent dans le petit salon turc attenant à la chambre à coucher. Dragomira s’étendit à moitié sur le divan et Henryka, assise à ses pieds sur une peau de panthère, appuya sa tête sur les genoux de son amie.

« Eh bien, où en es-tu avec lui ? demanda-t-elle.

— À présent, il est à moi.

— Comment l’as-tu gagné ?

— C’est une pure imagination qui l’amène à mes pieds, dit Dragomira. Je me suis souvent demandé comment il se fait que les êtres sans pitié sont presque toujours divinisés, dès qu’ils ont une certaine grandeur. Cela se voit dans l’histoire comme dans la vie de tous les jours. Un personnage tel qu’Iwan le Terrible sera toujours plus populaire qu’un Titus, et une femme comme Sémiramis plus séduisante que la mère des Gracques. Pour le comte, je suis cruelle, et c’est ce qui l’enivre.

— Tu l’es bien aussi.

— Moi ? non, répondit Dragomira tranquillement ; je n’ai aucune espèce de plaisir à martyriser ou à tuer des hommes ; au contraire, j’ai toujours peur que la compassion ne me joue un mauvais tour. Toi… oui… toi, tu ressens une joie fébrile quand on te livre une victime humaine. Je l’ai bien remarqué. Aussi, n’es-tu pas non plus libre et pure comme doit l’être une prêtresse. Il faut te vaincre toi-même. Tandis que j’accomplis un