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Page:Sacher-Masoch - La Pêcheuse d’âmes, 1889.djvu/276

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LA PÊCHEUSE D’AMES.

de Myschkow. Henryka et Tarajewitsch étaient en tête. Dans le second traîneau, conduit par Soltyk, se trouvaient Mme Maloutine et Dragomira. À Myschkow, les traîneaux s’arrêtèrent devant le manoir. La vieille ouvrit la porte comme d’habitude ; la maison avait comme toujours son air mort. Soltyk confia les rênes à la main solide de Mme Maloutine, aida Dragomira à descendre du traîneau et lui offrit le bras pour la conduire dans la maison. Tarajewitsch suivait avec Henryka. Ils entrèrent dans le petit salon où Mme Samaky recevait ordinairement ses hôtes. Dragomira s’assit sur une chaise, Soltyk s’appuya le dos à la porte, et Henryka garda la porte, un pistolet à la main.

« Tu te souviens bien de notre jeu d’hier ? dit le comte en attachant sur Tarajewitsch le regard ironique de ses yeux sombres.

— Oui, je sais, j’ai tout perdu.

— Et ta vie aussi.

— Ma vie ? Mais cela, je l’ai rêvé, vous me le disiez vous-même, mademoiselle Henryka.

— Pour vous tranquilliser, répondit-elle ; nous sommes témoins, Dragomira et moi, que vous avez perdu votre vie en jouant avec le comte, et il peut désormais disposer de vous à son gré.

— En effet, je me souviens… Un badinage…

— Pas du tout, s’écria Soltyk, tu m’as outragé et tu es entre mes mains.

— Alors, tue-moi, je suis prêt.

— Je ne te tuerai point, reprit Soltyk, et comme d’ailleurs je ne saurais que faire d’une vie inutile comme la tienne, j’en fais cadeau à Mlle Maloutine.

— Voilà une nouvelle plaisanterie ! Je ne suis pourtant pas un esclave qu’on achète et qu’on vend selon son bon plaisir, répondit Tarajewitsch avec hauteur.

— Tu es libre, répondit Soltyk en souriant, seulement ta vie appartient à Dragomira, elle en disposera. Attends ses ordres. »

Il salua les dames et sortit de la maison. Tarajewitsch resta seul avec les deux jeunes filles.

« Alors, que décidez-vous ? dit-il en baissant déjà passablement le ton.

— Je vous laisse le choix, répondit Dragomira ; voulez-vous désormais m’obéir aveuglément, sans réserve et sans protestation, ou préférez-vous mourir ? »

Elle tira un poignard et s’approcha de Tarajewitsch.