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Page:Sacher-Masoch - La Pêcheuse d’âmes, 1889.djvu/293

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LA PÊCHEUSE D’AMES.

Il faut que tes gens soient à leur poste une heure avant et se cachent dans la maison même. Il ôtera son épée. Pendant qu’il m’embrassera, je lui jetterai le lacet autour du cou. On le portera dans le caveau souterrain, et on l’y retiendra prisonnier, jusqu’à ce que je vienne moi-même le délivrer. Mais dis bien à tous qu’on ne doit ni le blesser ni le maltraiter.

— Je comprends. »

Dragomira lui donna encore quelques instructions, et la juive partit.

Le P. Glinski ne vint pas aussi vite à bout de sa mission. Il combina une douzaine de plans qu’il rejeta ; il composa différents discours qu’il se proposait de débiter, et en dernier lieu les trouva communs et insignifiants. Enfin, il trouva ce qu’il fallait. Il se décida à parler d’abord à Anitta, convaincu qu’elle accueillerait son message sans se fâcher, et même avec une certaine joie. Il ne se trompait pas.

Il vint dans l’après-midi chez Oginski. Après bien des circonlocutions et précautions oratoires, il arriva enfin à la grande nouvelle. À l’instant, Anitta lui sauta au cou et l’embrassa ; puis elle courut auprès de ses parents et leur cria d’une voix triomphante :

« Le comte Soltyk vous rend votre parole ! Il a bien vu que jamais il n’obtiendrait ni mon cœur ni mon consentement. Il renonce à ma main et il épouse Dragomira ! »

Oginski fit un visage fort étonné, pendant que Mme Oginska se disposait à adresser des reproches au jésuite, qui s’était glissé doucement dans la chambre. Mais Anitta coupa énergiquement court à tout.

« Je ne l’aurais jamais accepté, s’écria-t-elle ; j’aime Zésim Jadewski, et je serai sa femme ou j’irai dans un couvent. Dites au comte, mon révérend père, que je lui suis très reconnaissante et que j’espère que nous resterons bons amis. »

L’affaire était donc réglée, et Glinski pouvait, le cœur léger, se hâter d’aller retrouver Dragomira. Anitta s’efforça d’obtenir alors le consentement de ses parents à son mariage avec Zésim. Son père semblait disposé à consentir, mais sa mère persistait à opposer à ses vœux tout l’orgueil des magnats polonais. Cependant Anitta ne se découragea pas. Maintenant, elle était libre, et les plus douces espérances remplissaient son cœur. Elle pensa que la première chose à faire, c’était de s’entendre avec Zésim. Elle lui écrivit et fit porter sa lettre chez lui par le vieux cosaque Tarass. Quand Tarass revint, il était nuit.