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XIX

LA FUITE

Je te conduis à la cité des damnés.
DANTE.

Quand Dschika revint avec la nouvelle que Zésim et Anitta étaient partis ensemble dans le traîneau et que la route était libre, Dragomira sauta sur le cheval qu’on lui amenait. Elle envoya Tabisch à Cirilla et Dschika à Sergitsch, pour les avertir. Le vieillard qui, jusqu’alors, avait gardé la maison solitaire, ouvrit la porte et la ferma du dehors quand Dragomira fut partie. Elle prit la direction de Chomtschin, pendant qu’il se hâtait de descendre vers la rive du fleuve où le bateau était toujours attaché.

Dragomira traversa le faubourg au galop et se lança à toute bride sur la grand’route qui conduisait au château de Soltyk. Dans sa course furieuse elle avait l’air de fuir des ennemis qu’elle aurait eus sur les talons. De temps en temps elle excitait encore son ardent cheval de l’Ukraine, de la voix et du fouet. Autour d’elle, le vent mugissait ; au-dessus d’elle s’étendait la voûte du ciel étincelant d’étoiles ; devant elle apparaissait au-dessus de l’horizon le disque de la lune comme un but éblouissant.

Elle ne rencontra personne. Il n’y avait sur la route ni village ni cabaret. Aussi loin que la vue pouvait s’étendre, on ne distinguait que de vastes plaines blanches, au-dessus desquelles flottait une brume que traversait la lueur argentée de la lune.

Dragomira livrait le dernier combat, le combat décisif. Elle se voyait découverte ; elle savait que maintenant il fallait agir, que le temps de la ruse et de la tromperie était passé. Le