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Page:Sacher-Masoch - La Pêcheuse d’âmes, 1889.djvu/336

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LA PÊCHEUSE D’AMES.

« Promets-moi une chose, dit Soltyk ; ne me livre pas aux autres, immole-moi, tue-moi de tes mains.

— Je te le promets, répondit-elle avec une sorte de transport farouche, et je te promets encore davantage. Ma mission n’est pas encore terminée. Aussitôt que mon œuvre sera accomplie, et j’espère l’accomplir en peu de jours, j’irai te rejoindre.

— Tu veux mourir ?

— Oui, j’aspire à quitter ce monde de misère et de péché et à monter vers la lumière. Va devant moi, je te suivrai.

— Jure-le moi. »

Elle leva la main solennellement.

« Devant Dieu, qui sait tout et qui peut tout, je le jure ! »

Soltyk la serra sur son cœur, et ils restèrent longtemps ainsi, perdus dans une muette félicité.

Une cloche d’airain, à la sonorité menaçante, sonna trois coups. L’autel sanglant réclamait une nouvelle victime.

Une vaste salle, dont la voûte reposait sur de hautes colonnes, servait de temple aux Dispensateurs du ciel.

Les murs et les fenêtres étaient cachés par des tentures de soie bleu clair parsemées d’étoiles d’argent. Trois lustres répandaient une lumière éclatante comme celle du soleil. Le milieu de la paroi principale était occupé par un autel qui n’avait pas d’autre ornement qu’une croix colossale supportant le Sauveur mourant : « Tout est consommé ! » Devant cet autel, il y en avait un second, plus bas, qui faisait penser à la pierre des sacrifices païens. Il était décoré de guirlandes de fleurs et de branches de sapin et entouré des plantes exotiques les plus splendides, d’où s’exhalait une odeur douce et enivrante. Au milieu de la salle se trouvait une grande table en forme de fer à cheval, recouverte d’une nappe blanche comme la neige garnie de vaisselle précieuse, de riches pièces d’argenterie, de cruches et de coupes, et entourée de sièges antiques. Le siège du prêtre était plus élevé que les autres.

Une douzaine de jeunes hommes étaient occupés à disposer sur la table ce qu’il fallait pour manger et pour boire. Mme Maloutine les dirigeait. Elle donna enfin le signal que tout était prêt. Des trompettes résonnèrent ; la communauté pouvait venir pour la communion et le sacrifice. Les tentures qui cachaient les portes furent écartées ; les frères et les sœurs entrèrent deux à deux, tous vêtus de longues robes blanches, avec des ceintures rouges. Ils avaient des couronnes de fleurs sur la tête, des sandales aux pieds, des palmes à la main. Ils défi-