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LA PÊCHEUSE D’AMES.

— Je t’obéirai jusqu’au dernier soupir, dit Dragomira, et j’agirai dans ton esprit. Avec l’aide de Dieu, j’espère accomplir ma mission. Puis je n’aurai plus rien à chercher sur cette terre, et je te suivrai sur la route de la lumière éternelle.

— Ma bénédiction est avec toi, dit l’Apôtre, et maintenant je compte sur toi, sur ton courage et ta force, dans cette heure de joie et de délivrance.

— Il faut que je te tue ? murmura Dragomira épouvantée Non ! non ! Demande-moi ce que tu voudras, mais pas cela. »

L’Apôtre sourit douloureusement.

« Non, la mort, c’est de Dieu que je l’attends, répondit-il avec calme ; à toi je ne demande rien de plus que de m’assister au moment suprême et de m’obéir. Veux-tu faire ce que je t’ordonnerai ?

— Oui.

— Alors, appelle les autres et tiens-toi prête. »

Pendant que Dragomira faisait ce qu’il avait commandé, l’Apôtre se prosternait devant le crucifix et priait avec ferveur. Il ne se releva que quand ses derniers fidèles entrèrent. Il fit signe à Tabisch d’approcher et lui dit tout bas quelques mots. Tabisch pâlit, mais il inclina silencieusement la tête et sortit de la salle pour exécuter l’ordre qu’il avait reçu. L’Apôtre se rendit alors avec les autres dans le temple où il pria encore à genoux devant l’autel.

Tabisch ne tarda pas à revenir. Il portait une grande croix de bois grossièrement taillé, qu’il posa sur le sol devant l’autel. Il alla chercher ensuite des clous et un lourd marteau. Tous les assistants contemplaient ces préparatifs en silence, les lèvres pâles et le regard épouvanté. L’Apôtre se leva, étendit les bras et cria ; « Que la volonté de Dieu soit faite ! Crucifiez-moi ! »

Dragomira et Henryka se précipitèrent tout en pleurs à ses pieds.

« Courage ! mes amis, continua l’Apôtre, calmez-vous et ne m’abandonnez pas à la porte de la mort. »

Dragomira se releva et essuya ses larmes. Henryka suivit son exemple.

« Au nom de Dieu, mettez-vous à l’œuvre ! » dit l’Apôtre, et il se coucha tranquillement sur la croix de bois en étendant les bras.

« Dragomira, dit-il, avec une gravité religieuse, je veux que ta main m’enfonce le premier clou. »

Elle le regarda longtemps, puis, d’un mouvement presque machinal, saisit le marteau et un clou.