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Page:Sacher-Masoch - La Pêcheuse d’âmes, 1889.djvu/352

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LA PÊCHEUSE D’AMES.

Anitta s’habilla à la hâte. Un triste pressentiment s’était emparé d’elle et la poussait.

« Entre, dépêche-toi ! cria-t-elle au messager, quand il apparut sur le seuil avec une contenance embarrassée.

— Qui t’a envoyé ? demanda-t-elle.

M. Jadewski.

— Et qui t’a envoyé à lui ?

— Vous-même, mademoiselle.

— Je ne t’ai donné aucune commission.

— Mais si, hier soir, vous me l’avez fait dire par un paysan, qui m’a payé deux roubles.

— Raconte, dit-elle rapidement, raconte tout. »

Quand le jeune campagnard eut fini son récit, Anitta comprit qu’on avait attiré Zésim à Kasinka pour s’emparer de lui. Il n’y avait que Dragomira qui pût lui avoir tendu ce piège. Il était en danger d’être tué. Il s’agissait d’agir avec courage et promptitude.

« Éveille les voisins, dit-elle au jeune paysan, qu’ils s’arment et viennent ici avec nous. Mais dépêche-toi ; il y va de la vie d’un homme. »

Kachna éveilla les gens de sa maison. Anitta appela Tarass et fit seller le cheval qui était là exprès pour elle.

Zésim avait quitté Kiew peu de temps après avoir renvoyé le messager. Il arriva à Kasinka Mala au petit jour. Il sauta de son cheval, le remit au cabaretier juif qui s’était empressé de venir au-devant de lui, et entra dans le cabaret. Au moment où il posait le pied sur le seuil, il fut saisi par Karow et Tabisch. En même temps, Henryka lui arrachait son épée du fourreau ; et, pendant que les deux hommes luttaient avec lui, elle lui jetait un lacet autour du cou. Peu d’instants après, Zésim, les mains et les pieds garrottés, était posé à genoux au milieu de la chambre, devant Dragomira. Celle-ci, habillée en paysanne, avec des bottes de maroquin rouge aux pieds, un mouchoir rouge autour de la tête, une pelisse blanche de peau de mouton brodée en couleur, était assise sur un banc de bois et le considérait d’un air de triomphe.

« Enfin, te voilà entre mes mains ! » dit-elle en faisant signe aux autres de s’éloigner.

Zésim ne répondit rien.

« Tu te tais ? continua-t-elle. Est-ce que te ne m’aimes plus ? Ce serait fâcheux pour toi si tu avais changé de sentiment, car voici l’heure où je vais tenir ma parole. Je suis prête à