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LA PÊCHEUSE D’AMES.

paissaient, les jambes de devant entravées. Le croissant de la lune apparaissait au-dessus de la forêt. On entendait de temps en temps les clochettes des chevaux, les airs mélancoliques du chalumeau et le murmure lointain de la rivière.

Quand Zésim fut près du château de Bojary, le cœur lui battit avec force et l’image de sa petite amie d’enfance se dressa vivante devant lui. Il était arrivé à la porte : il frappa. Les aboiements d’un chien lui répondirent ; du reste, tout demeura silencieux. Les sombres peupliers bruissaient d’une façon sinistre. La maison et la cour étaient plongées dans la plus profonde obscurité. Aucune fumée ne sortait des cheminées ; aucune fenêtre n’était éclairée.

Zésim frappa de nouveau. Enfin des pas lents et traînants s’approchèrent.

« Qui est là ?

— Mme Maloutine est-elle à la maison ?

— Non.

— Et Mlle Maloutine ?

— Non plus. »

Zésim haussa les épaules, et, de fort mauvaise humeur, se mit en route pour revenir chez lui.

Cette fois, il prit par la forêt. La lumière argentée du croissant de la lune lui montrait le chemin, entre les trous noirs, les arbres tombés et les épaisses broussailles. Tout à coup, une lueur rouge illumina le sentier, et, du milieu des noisetiers et des buissons de ronces, des étincelles jaillirent, à travers la nuit, vers le ciel majestueux. Il tourna à gauche et se trouva bientôt en face d’un feu clair qui flambait. Des coups de sifflet retentirent, de sombres figures surgirent de différents côtés.

Zésim abaissa son fusil :

« Qui va là ?

— Des bohémiens, monsieur, » répondit une voix humble, et, du fourré, sortit un gaillard basané et velu qui s’inclina respectueusement.

Zésim s’approcha du feu, autour duquel était établi un fantastique campement de bohémiens. Des tentes étaient dressées, de petits chariots les entouraient, les chevaux piaffaient ; des hommes à la peau brune étaient étendus sur leurs manteaux et dormaient ; d’autres dépouillaient de sa peau un agneau qu’ils avaient certainement volé. Une jeune mère berçait son nourrisson, des enfants nus couraient çà et là, des chiens