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XIV

JEUNE AMOUR

L’amour ne s’informe pas du rang des pères ; toutes les créatures humaines sont égales dans son pays.
HOUWALD.

Le plan trouvé par Mme Oginska faisait honneur à son habileté de mère. Quand le comte Soltyk arriva, à la tombée de la nuit, Oginski était au Casino, et les dames étaient assises dans la serre avec leur ouvrage.

Mme Oginska faisait les honneurs de chez elle, lorsque la vieille femme de chambre apparut et l’avertit qu’il y avait là quelqu’un qui demandait instamment à lui parler. Mme Oginska pria Soltyk de l’excuser, et sortit avec un grand bruit de jupes.

Le comte et Anitta se trouvaient seuls. En ce moment elle était bien heureuse d’avoir son métier à broder entre elle et lui comme une barrière contre ses regards ardents et ses paroles flatteuses. D’ailleurs tout semblait venir en aide à Soltyk : la pittoresque luxuriance des plantes exotiques qui garnissaient toute la serre et formaient autour d’eux une sorte de temple verdoyant et fleuri, le murmure mélodieux du petit jet d’eau, la douce et mystérieuse lueur de la lampe à globe rouge suspendue à la voûte, et le parfum pénétrant qui remplissait l’air et qui excitait et engourdissait à la fois les sens, comme ces poisons qu’on respire sous l’ombrage d’un arbre vénéneux.

S’il y avait un endroit fait pour éveiller la passion endormie ou pour séduire l’innocence ignorante, c’était bien celui-là. Le comte se penchait sur les fleurs fantastiques qui naissaient sous les doigts de fée d’Anitta et tenait la pauvre jeune fille