Page:Sacher-Masoch - Le legs de Caïn, 1874.djvu/107

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Je me troublai. — Ce que cela peut me faire ? lui dis-je sévèrement. Le diable est toujours à la porte, et je regrette toute âme que perd le bon Dieu.

— Je suis une fille pauvre, dit-elle. Qui s’intéresse à moi ? qui voudra m’épouser ? Il faut pourtant que je vive, et ce qui plaît aux autres femmes me plaît aussi. Au château je puis gagner de belles nippes, un foulard neuf, un collier de corail, voire une pelisse…

— Qu’as-tu besoin de collier, m’écriai-je, ou d’autres parures ?

— Telle que je suis, je ne plais à personne ! répondit-elle.

— Celui-là ment, qui ose dire cela ! — Et le feu me monta au visage. J’étais déjà épris d’amour ; je savais maintenant ce qui me restait à faire. Je me rappelai les vieilles légendes et les chansons, où le tsar aborde la tsarevna et le pauvre pêcheur la pêcheuse, les mains pleines de beaux présents, et je mis sou sur sou en attendant le jour des Rois.

Ce soir-là, je fus le premier à me barbouiller de noir. Le diak m’avait prêté une nappe d’autel rouge qui me fit un beau manteau, et je me coiffai d’une immense couronne de papier doré à pointes ; je représentais le roi more, et j’avais avec moi deux bons camarades, Ivan Stepnouk et Pazorek, qui étaient les deux rois blancs, très bien attifés aussi, puis mon cousin Yousef, celui qui est mort de la petite vérole, et qui faisait notre valet, un vrai moricaud. C’est lui qui portait les présents des rois mages.