Page:Sacher-Masoch - Le legs de Caïn, 1874.djvu/111

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étaient assis derrière son dos, s’appuyaient l’un contre l’autre comme deux gerbes de blé ; le Mongol était couché dans la cendre comme un poisson sur la plage, tellement absorbé qu’il oubliait de respirer et ne faisait que pousser de temps à autre un grand soupir.

— C’était une jolie fille, et très bonne, cette Catherine, dit l’homme de carton en se tournant vers moi, et quelle grands dame maintenant ! Des façons de tsarine, monsieur, et la beauté du diable !

— Encore à présent ?

— Mais sans doute.

— Je lui ai une fois baisé la main, s’écria le petit gars, dont les yeux brillèrent ; elle ôta son gant pour me présenter la main nue,… oh ! une main de princesse, si blanche, si douce, une petite main comme on n’en voit pas !

— C’était une fille jolie et très bonne, reprit à son tour le capitulant, travailleuse, gaie ; elle chantait pendant qu’elle faisait son ouvrage, et elle dansait, vous auriez dit une maïka[1]. Toujours prête à la riposte, elle avait parfois des idées bizarres comme une devineresse[2] !… Elle était plutôt grande que petite, — des cheveux bruns avec des yeux bleus, des yeux si doux, un peu endormis, et en même temps étonnés, timides, comme ceux d’un chevreuil. Lorsqu’elle me regardait, son regard me pénétrait jusqu’à la plante des pieds. Sa tête avait

  1. La sylphide des Karpathes.
  2. Une vulma, celle qui sait, la sorcière des Petits-Russiens.