Page:Sacher-Masoch - Le legs de Caïn, 1874.djvu/125

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trer sur la route sa grâce madame la mentresse. Sa voiture était embourbée, le cocher, du haut de son siège, fouettait inutilement ses chevaux. Lorsqu’elle m’aperçut, elle se blottit dans un coin comme une chatte, et je vis qu’elle tremblait. Je regardais sans rien dire.

— Viens donner un coup de main ! me cria le cocher.

Je m’approchai, soulevai le train de derrière, poussai à la roue, puis je saisis le fouet du cocher et lui administrai une raclée pour avoir si mal conduit la dame. — À partir de ce jour, elle n’eut de repos, je l’ai su plus tard, qu’elle ne m’eût fait enrôler.

— Elle rougissait de l’avoir toujours devant les yeux, ajouta Kolanko ; alors elle le fit partir pour l’armée.

— En ce temps, c’étaient les propriétaires qui fournissaient les recrues, continua le capitulant. Je fus donc empoigné par les cosaques et traîné dans la cour, où il y avait un piquet de bois ; on me fit mettre nu comme un ver, on me toisa ; le médecin me tapota sur la poitrine, me regarda dans la bouche, puis je fus inscrit ; c’en était fait de moi ! Ma mère se tordait aux pieds du mandataire, mon père dévorait ses larmes, et elle, elle était là-haut à sa fenêtre, et d’un œil sec me voyait debout dans sa cour, en ma misère, tel que Dieu m’a fait. Je pleurais de rage : cela ne servait de rien ; il aurait fallu de l’argent, et je n’en avais pas. On m’assermenta séance tenante, et on me mit sur la tête un bonnet de police. J’étais soldat. Au départ, tout le monde pleurait après nous,