Page:Sacher-Masoch - Le legs de Caïn, 1874.djvu/22

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et se mit à gourmander les paysans d’avoir arrêté un monsieur tel que moi, un monsieur qui bien sûr était noir et jaune[1] dans l’âme, il l’aurait juré sur la Thora…, et il vociférait et se démenait comme s’il eût été personnellement victime d’un attentat inouï.

Je laissai mon Souabe avec les chevaux, gardé à vue par les paysans, et j’allai m’étendre dans la salle commune, sur la banquette qui courait autour de l’immense poêle. Je m’ennuyai bientôt. L’ami Mochkou[2] était fort occupé à verser à ses hôtes de l’eau-de-vie et des nouvelles ; deux ou trois fois seulement il s’abattit près de moi en sautant par-dessus le large buffet comme une puce, et s’y colla, et s’efforça d’entamer une conversation politique et littéraire. Ce n’était pas une ressource.

Je me mis à examiner la pièce où je me trouvais. Le ton dominant était le vert-de-gris. Une lampe à pétrole, alimentée avec parcimonie, répandait sur tous les objets une lumière verdâtre ; des moisissures vertes tapissaient les murs, le vaste poêle carré semblait verni au vert-de-gris, des touffes de mousse poussaient entre les pavés du parquet, — une lie verte dans les verres à brandevin, du verdet authentique sur les petites mesures en cuivre, où les paysans buvaient à même devant le buffet sur lequel ils jetaient leur monnaie de billon. Une végétation

  1. Ce sont les couleurs autrichiennes : noir et jaune, — bon Autrichien.
  2. Moïse, sobriquet des Juifs.