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Page:Sacher-Masoch - Le legs de Caïn, 1874.djvu/33

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porter ce qui est fatal, ce qui est dans la nature, comme l’hiver ou la nuit, ou la mort ; mais y a-t-il une nécessité qui veut que les mariages soient généralement malheureux ? Est-ce que c’est une loi de la nature ? — Mon homme mettait dans ses questions toute l’ardeur du savant qui cherche la solution d’un problème ; il me regardait avec une curiosité enfantine. — Qu’est-ce donc qui empêche les mariages d’être heureux ? continua-t-il. Frère, le savez-vous ?

Je répondis une banalité ; il m’interrompit, s’excusa et reprit son discours. — Pardonnez-moi, ce sont de ces choses qu’on lit dans les livres allemands ; c’est très-bon de lire, mais on prend l’habitude des phrases toutes faites. Moi aussi je pourrais dire : « Ma femme n’a pas répondu à mes aspirations, » ou bien : « que c’est triste de ne pas se voir compris ! Je ne suis pas un homme comme les autres ; je ne trouve pas de femme capable de me comprendre, et je cherche toujours. » Tout cela, voyez-vous, ce sont des façons de parler, des mensonges ! — Il remplit de nouveau son verre ; ses yeux brillaient, sa langue était déliée, les paroles lui venaient avec abondance. — Eh bien ! monsieur, qu’est-ce qui ruine le mariage ? dit-il en posant ses deux mains sur mes épaules comme s’il voulait me serrer sur son cœur. Monsieur, ce sont les enfants.

Je fus surpris. — Mais, cher ami, répondis-je, voyez ce Juif et sa femme ; sont-ils assez misérables ? Et croyez-vous qu’ils ne tireraient pas chacun de son côté, comme les bêtes, s’il n’y avait les enfants ?

Il hocha la tête, et leva les deux mains étendues