J’étais égaré, moi aussi. Le lendemain, je montai à cheval et allai faire ma visite au village des Senkov. Je fus bien reçu. Nicolaïa était plus sérieuse que de coutume, elle penchait la tête ; je devins triste aussi. — Qu’as-tu donc ! pensai-je. Je suis à toi, ta chose ; pourquoi ne ris-tu pas ? — Je multipliai mes visites. Un jour, l’arrêtant : — Permettez-moi de ne plus mentir. — Elle me regarda étonnée. — Vous, mentir ! — Oui. Je me dis toujours votre valet, et je « tombe à vos pieds », et pourtant je ne le suis pas et ne le fais pas. Je ne veux plus mentir ! — Et, je vous l’assure, je cessai de mentir. À quelque temps de là, le vieux Cosaque de mon père disait aux domestiques : — Notre jeune seigneur est devenu dévot, il en a des taches aux genoux.
Le village des Senkov était plus rapproché de la montagne que le nôtre. Ils faisaient paître de grands troupeaux de moutons près de la forêt. Le pacage était entouré d’une bonne clôture. La nuit, les pâtres allumaient de grands feux ; ils avaient des bâtons ferrés, même un vieux fusil de chasse et plusieurs chiens-loups ; tout cela parce qu’on n’était pas loin de la montagne ; les loups et les ours s’y promenaient comme les poules et multipliaient ainsi que les Juifs.
Il y avait là un chien-loup noir qu’on appelait Charbon. Il était noir, noir, et il avait des yeux qui étincelaient comme la braise. C’était le grand ami de ma… que dis-je donc ? — il rougit légèrement, — de la pana Nicolaïa. Comme elle était encore un bébé et se roulait sur le sable chauffé par le soleil,