cette vie : les paroles sont étranges, et, — il écoutait le chant mélancolique de la garde, — et voilà l’air. Les Allemands ont leur Faust, les Anglais aussi ont un livre de ce genre ; chez nous, chaque paysan sait ces choses-là. C’est un instinct secret qui lui dit ce qu’est la vie.
Qu’est-ce qui donne à ce peuple ce fonds de tristesse ? C’est la plaine. Elle s’étend sans bornes comme la mer, le vent l’agite, la fait onduler comme la mer, et, comme dans la mer, le ciel s’y baigne ; elle entoure l’homme, silencieuse comme l’infini, froide comme la nature. Il voudrait l’interroger ; sa chanson s’élève comme un appel douloureux, elle expire sans trouver de réponse. Il s’y sent étranger… Il regarde les fourmis, qui en longues caravanes, chargées de leurs œufs, vont et viennent sur le sable chaud : voilà son monde à lui. Se presser dans un petit espace, peiner sans trêve, — pour rien. Le sentiment de son abandon l’envahit, il lui semble qu’il oublierait à tout moment qu’il existe. Alors, dans la femme, la nature s’humanise pour lui : « Tu es mon enfant. Tu me crains comme la mort ; mais me voici ton semblable. Embrasse-moi ! je t’aime, viens, coopère à l’énigme de la vie, qui te trouble. Viens, je t’aime ! »
Il se tut pendant quelque temps, puis il reprit : — Moi et Nicolaïa, comme nous fûmes heureux ! Quand les parents arrivaient ou les voisins, il fallait la voir donner ses ordres et faire marcher son monde ! Les domestiques plongeaient comme les canards sur l’eau aussitôt qu’elle les regardait. Un jour, mon