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Page:Sacher-Masoch - Le legs de Caïn, 1874.djvu/51

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et quelles fourrures ! toutes de contrebande. Le cœur lui en battait de joie, monsieur.

Comme elle savait s’habiller ! On se serait mis à genoux. Elle avait une kazabaïka de drap vert d’olive, garnie de petit-gris de Sibérie, — l’impératrice de Russie n’a rien de plus beau, — large comme la main, et tout l’intérieur doublé de la même fourrure gris d’argent et si douce au toucher !

Le soir, elle se tenait couchée sur son divan, les bras croisés sous la tête, et je lui faisais la lecture. Le feu pétille dans l’âtre, le samovar siffle, le cricri chante, le ver frappe dans le bois, la souris grignote, car le chat blanc sommeille sur son coussin. Je lui lis tous les romans ; la ville avait déjà son cabinet de lecture, et puis les voisins, — on emprunte le volume à l’un et à l’autre. Elle m’écoute les yeux fermés, moi je m’étends dans mon fauteuil, et nous dévorons les livres ; plus d’une fois on se couchait fort tard. Nous discutions : l’épousera-t-il, ne l’épousera-t-il pas ? Les assauts de générosité la mettaient en colère ; elle vous rougissait jusqu’au petit bout de l’oreille, se soulevait à demi, appuyée sur une main, m’apostrophait comme si c’eût été de ma faute : — Je ne veux pas qu’elle fasse cela, entends-tu ? — et elle en pleurait presque. Dans les romans, vous savez, les femmes se sacrifient pour un oui pour un non… Ou bien encore elle saute en pied, me pousse le livre à la figure et me tire la langue. Nous nous poursuivons et jouons à cache-cache comme les enfants. Une autre fois elle imagine une féerie, se sauve : — Quand je reviendrai, tu